Jean-Paul Roche, AFPS - PalSol n°74
Elle prend une saveur particulière quand on la met en rapport avec l’activisme de l’administration Trump en direction des pays arabes pour pousser à la normalisation. Certains d’entre eux n’avaient guère besoin d’être bousculés et étaient convaincus d’avance. D’abord parce que, depuis belle lurette, ils n’ont aucun scrupule à faire appel à la technologie israélienne pour déployer des outils sophistiqués de surveillance et de répression de leur population. Émirs et despotes en tout genre savent où est leur intérêt. S’y rajoute l’envie pressante de donner un coup de pouce à Trump pour sa réélection, de peur que Joe Biden ne revienne sur la dénonciation de l’accord avec l’Iran.
Mais « l’art du deal », au coeur de la diplomatie trumpienne, est mis en oeuvre méthodiquement en jouant des points faibles de chacun des pays. Pour convaincre le Maroc de normaliser ses relations avec Israël, on lui fait savoir qu’aussitôt les États-Unis pourront reconnaître la « marocanité » (sic) du Sahara occidental. Au Qatar, qui jusqu’ici n’a pas ménagé ses efforts pour soutenir financièrement les autorités du Hamas à Gaza, on fait miroiter la fin de son isolement et la réintégration dans l’organisation de coopération des pays du Golfe. À Oman, qui a toujours cherché à rester un canal de discussion entre l’Iran, son proche voisin, et les monarchies du Golfe, on fait comprendre qu’il n’en faudrait pas beaucoup pour déstabiliser son nouveau souverain.
Le plus scandaleux est ce qui se joue avec le Soudan où une puissante révolution populaire a réussi à chasser le dictateur Omar al-Bachir et entamé une périlleuse phase de transition associant militaires et civils. Le Soudan est depuis 1993 inscrit sur la liste noire américaine des États soutenant le terrorisme, ce qui l’empêche dans les faits d’avoir un libre accès aux marchés alors qu’il a une dette qui avoisinerait 70 milliards de dollars. Pourquoi s’obstiner à refuser la main tendue par Mike Pompeo en normalisant les relations avec Israël ? Alors certes le peuple soudanais et le gouvernement de transition ne sont pas dupes et n’accepteront pas facilement une telle humiliation, mais pourront-ils résister alors qu’Israël dispose de soutiens jusque dans la hiérarchie militaire et que Pompeo est bien décidé à leur tordre le bras ?
Il est un autre cas d’une brutalité invraisemblable : l’attaque contre la Cour pénale internationale (CPI). Le 2 septembre Pompeo a annoncé l’inscription sur la liste noire des États-Unis de sa procureure Fatou Bensouda et de Phakiso Mochochoko, directeur d’un département de la CPI. Leurs éventuels avoirs aux États-Unis sont gelés et l’accès au système financier américain leur est interdit parce qu’ils prétendent enquêter sur de possibles crimes de guerre américains en Afghanistan (et se sont aussi saisis d’éventuels crimes de guerre en Palestine). Toute personne qui coopérerait avec eux s’expose à des sanctions ! La CPI a condamné « ces actes coercitifs, dirigés contre une institution judiciaire internationale et ses fonctionnaires… [qui] sont sans précédent et [qui] constituent de graves attaques contre la Cour, le système de justice pénale internationale du statut de Rome et l’état de droit en général ». On attend avec attention la réponse de l’Europe, des Pays-Bas qui hébergent la CPI à La Haye et de la France qui a toujours eu pour position de défendre cette juridiction internationale.